Y aura t il un Monde d’après?

Y aura -t il un Monde d’après?

3 choses que nous aura révélé le COVID 19

Si nous devions retenir quelques petites de ce que nous avons vécu lors de l’épisode du COVID en termes d’adaptation ou d’inadaptation des structures socioéducatives et du fonctionnement des institutions sociales et publiques , le terme qui s’imposerait en premier à mon esprit serait la déconnexion.

1/ La déconnexion

En effet , la mise en œuvre des instructions, obligations, précautions et préconisations qui se sont accumulées sur les institutions administrations et structures du social ont toutes eu en commun de réaliser de la distance, d’organiser de la fermeture, et de confirmer et amplifier l’éloignement des publics vis à vis des dispositifs qui leur sont consacrés.

C’est une logique implicite; une sorte de conséquence inévitable qui s’impose à tous les acteurs et les agents comme logique ou « naturelle ».

Qu’on le veuille ou non, le COVID est venu vérifier une tendance durable et longue du traitement social des populations, et en particulier des populations les plus précaires et les plus en difficulté.

Cela ne datait pas d’hier , mais cela se confirme chaque jour; dans le secteur social , on ferme. On ferme les permanences, on regroupe les structures; on limite les accueils; on chronomètre les temps d’ouverture; on conditionne l’accès.

Cela fait longtemps que l’illusion perdure qu’on peut affaiblir la demande sociale et l’expression des besoins en s’entraînant à devenir chaque jour un peu plus sourd et un peu plus aveugle à ce qui nous entoure.

La période du Coronavirus n’aura de ce point de vue apporté aucune exception, aucun répit.

A l’inverse , nous aurons vu cette même tendance s’emballer, aller au bout de sa propre logique: la clôture et la fermeture de quasiment tout ce qui peut apporter une réponse concrète dans la réalité des gens.

2- Le fantasme de la continuité virtuelle

C’est dans le secteur de l’École que l’on a entendu le plus nettement l’énoncé d’une étrange rhétorique. Les établissements pouvaient bien fermer, une véritable continuité éducative et scolaire serait assurée.

Mieux, on s’en faisait un objectif de premier ordre, une exigence, une évidence , une quasi-réalité.

La continuité est ainsi affirmée comme une valeur absolue , au moment où à l’inverse c’est la rupture qu’on organise.

Il s’agit là d’un effet de Nov’langue que nous connaissons bien depuis des dizaines d’année. N’avons nous pas pris l’habitude de parler de cohésion sociale en lieu et place de désagrégation urbaine ? Ou de réussite éducative en lieu et place d’échec scolaire?

Une pensée positive traverse les institutions qui se complaît à croire que la réalité varie selon la manière dont on la nomme.

Or c’est tout l’inverse que nous avons appris à l’occasion de l’épidémie de COVID et des mesures de fermeture et confinement.

Nous avons vu, à nue, l’absurdité des fantasmes et des prétentions d’assurer le moindre suivi social ou éducatif à distance.

Croire qu’il suffirait de prescrire la continuité des apprentissages, du travail scolaire pour qu’il se réalise revenait à réaliser le fantasme absolu de la dématérialisation du travail éducatif, culturel et social.

Ainsi on aurait peut être pu et à bon compte, se débarrasser de tout ce qui résiste dans la réalité des gens et dans les phénomènes sociaux .

Bien entendu, ceux qui se sont donnés la peine d’être aux côtés des enfants et adolescents de milieu populaire relégués par les institutions, ont pu mesurer au contraire , une réalité inverse.

C’est un gouffre , une béance qui a l’inverse nous ont été révélés. Il n’y avait pas de continuité, il n’y avait que des obstacles à a continuité. La fracture numérique ne s’est jamais révélée à une telle ampleur que lors de la fermeture des établissements scolaires

Non seulement , les enfants pauvres et précaires n’avaient aucune chance de satisfaire les exigences d’un suivi scolaire à distance, mais en plus tout était fait pour les rendre étrangers à ce projet.

Le plus préoccupant cependant est que le constat d’un tel désastre a pu apparaître et peut demeurer invisible du point de vue des acteurs éducatifs et des enseignants eux mêmes.

En effet un autre enseignement de cette période c’est que les acteurs, isolés entre eux, limités à des actions fragmentées , ont durablement perdu une vue d’ensemble et globale des réalités sociales.

Les enseignants ainsi préoccupés par l’école à distance à la maison , se sont focalisés et centrés sur la seule petite proportion de leurs élèves qui leur répondaient. Ils ont oublié tous les autres.

Ils préfèrent penser que la formule était bonne et que l’abandon des foules d’enfants pauvres et précaires n’est dû qu’à des inégalités conjoncturelles et réversibles d’accompagnement, ou d’équipement , dont pouvaient bénéficier ces élèves eux mêmes.

Il y a un véritable risque d’effet d’optique pour les acteurs sociaux et éducatifs de croire aux vertus du travail relationnel téléguidé et à distance. Sous prétexte qu’il semble qu’une petite minorité ait suivi les injonctions, les recommandations, la tentation est forte de considérer que le reste de la population pourrait ou aurait pu suivre.

Il n’y aurait qu’à lever certains freins ici ou là, créer quelques facilitations et tout irait à merveille.

La réalité est toute autre :

Il n’y avait aucune chance dès le départ pour les enfants et jeunes précaires de pouvoir simplement accéder à ce qui leur était proposé; encore moins à le comprendre, ou à se l’approprier.

L’écart n’est ni technique, ni technologique; il n’est même pas monétaire ou social . Il réside dans l’impossibilité pour les enfants et jeunes en situation de précarité d’aujourd’hui de se sentir seulement concernés par les institutions qui souhaitent les piloter… de plus en plus loin.

Au fond ce que l’épisode du COVID 19, a révélé, c’est l’impossibilité pour les institutions et les administrations de se réformer par elles mêmes.

Les seules mesures qu’elles savent et peuvent envisager ou mettre en œuvre, c’est toujours de faire moins; toujours de donner moins d’elles mêmes; toujours de limiter et prétendre piloter et ce qu’elles ne connaissent plus. Ce qu’elles ne rencontrent plus.

Tout au plus, ou au mieux, cette aventure collective aura aidé à prendre conscience d’une telle déconnexion.

3- La désaffection des institutions: un « Sauve qui peut général »

Les administrations, les institutions, les structures se sont trouvées doublement perdues , doublement débordées.

Il n’ y a pas eu que l’effet des injonctions et des mesures de protection qui les ont désorganisées; il y a eu un véritable vent de panique, un abandon de tous les postes , qui est venu de la pression des agents et professionnels eux-mêmes.

La culture de la peur, qui marque notre temps, s’est littéralement retournée contre les organisations et structures qui s’étaient chargées de la cultiver. Les mentalités des agents , des acteurs sociaux ont été profondément influencées par cette culture.

De nouveaux réflexes mentaux de désistement, de retrait , de mise à l’abri, s’imposent désormais comme indiscutables, nécessaires, urgents et prioritaires sur toute autre considération.

Chacun se considère désormais comme seul juge de son degré d’implication sociale et des conditions de son désengagement. Et celui ci peut intervenir à tout moment…

C’est donc une nouvelle crise qui s’abat aujourd’hui sur les institutions, les administrations , l’École, les structures éducatives, sanitaires, sociales, culturelles…

Celle ci est encore bien plus insidieuse et durable qu’un virus car elle met en jeu le sens même de l’implication sociale.

Et après?

Que pouvons nous espérer à la suite de l’expérience collective que nous vivons actuellement?

Nous entendons de toute part des résolutions courageuses ou engagées; certaines proviennent même des plus hautes sphères du pouvoir. N’avons nous pas entendu le président de la France promettre des « Jours d’après qui ne ressembleront pas aux jours d’avant »?

Nous ne sommes pas très loin des sirènes des « lendemains « qui chantent ».

Certes des changements sont inévitables; la crise sanitaire a révélé et va en effet céder la place à de nombreuses autres crises en cascade: crise sociale, politique, économique, culturelle, etc.

Pour autant, il serait illusoire de croire que les institutions et nos administrations sauront demain se réformer pour éviter le renouvellement de telles crises, qu’elles n’ont pas su empêcher aujourd’hui.

Au contraire, nous pouvons déjà observer que, comme d’habitude, les conséquences qui sont tirées de la crise actuelle vont et iront toujours dans le sens du renforcement des tendances politiques, éducatives, et sociales qui nous ont mené à la crise.

Une fois encore, l’administration , les collectivités l’État en général chercheront à rationaliser les coûts, limiter le nombre d’interlocuteurs sociaux. La tendance sera toujours à donner toujours plus de moyens à ceux qui les monopolisent déjà. Ou à demander des idées auprès de ceux qui n’en ont plus depuis longtemps.

Nul doute qu’il sera toujours aussi difficile demain de réaliser une action sociale véritable, en lien avec les réalités de terrain et au contact des populations les plus précarisées.

Le changement est inévitable, il est déjà là; il est en cours. Mais il ne sera pas piloté, ni accompagné par les politiques sociales

Comme hier, le renouveau viendra des friches , dans les espaces délaissés et déconsidérés.

Le social de demain est déjà en cours , sous nos yeux. Il était déjà là avant le Coronavirus. Il sera bien plus nécessaire après.

Sera – t-il rendu plus visible après la crise du Coronavirus? C’est ce qu’il nous reste à découvrir.

(Texte écrit pour la revue Lien Social)