Confinement et explosions

Confinement et explosions

Des explosions en chaine

Nous nous devons d’écrire sur ce qui nous arrive. Nous n’aurions rien de plus pertinent et de plus juste à raconter.

De plus, nous nous le devons, par honnêteté pour nous mêmes et par devoir de réflexion pour les autres.

Nous ne pouvons écrire utilement que sur ce qui nous entoure, ce qui compose pour nous la réalité et en premier lieu, la réalité sociale. C’est la seule matière, le seul contenu.

Réactions en chaîne

Nous sommes astreints au confinement. Plus qu’une mesure sanitaire celui-ci est avant tout pour nous une injonction. Ainsi il circule dans les réseaux sociaux des invitations à dénoncer ceux qui ne le respecteraient pas, voir en certains cas , à leur jeter des « cailloux ».

Car cette astreinte n’est pas personnelle, elle n’est pas pour nous; elle est tout autant dirigée contre les autres. Les gens ne souhaitent pas tant d’être confinés que d’exiger que les autres le soient.

Aucune injonction sociale ne pourrait fonctionner , si elle ne rencontrait pas une réalité sociale déjà installée.

Le confinement était déjà là dans nos vies, dans nos modes d’organisation; dans le fonctionnement ordinaire de nos institutions! C’est pour cela qu’il nous parle; c’est pour cela qu’on l’adopte avec cette facilité et cette évidence naïve , que l’on se répète entre soi.

Nous étions confinés et nous ne le savions pas. Ce que l’actualité nous révèle c’est que nous sommes seuls et abandonnés et que nous l’éutions déjà.

Cela fait longtemps que les enfants du peuple, que leurs parents , que tous ceux qui connaissent la précarité , savent tout de cet abandon et de cet enfermement dans le non -droit.

Les écoles, les collèges peuvent être fermés; qu’est ce que cela change au fond? Cela faisait déjà un moment que ce n’était plus des lieux où on apprenait, mais bien plutôt où on svalidait tout ce que les enfants favorisés apprennent de toute façon, ailleurs.

La mode de la classe inversée qui a envahi les collèges , en s’appuyant si facilement sur les ENT et les Pronotes, tellement mis en avant , avait déjà enfoncé le clou: on apprend dans son milieu , l’acquisition des savoirs est responsabilité externe de l’École; celle ci n’est là que pour vérifier que ce qui était prescrit a été fait.

L’école n’est plus là que pour sanctionner le travail éducatif et cognitif qu’elle a éjecté, il y a longtemps, à sa périphérie.

Révélations en chaine

Le Covid 19 incarne efficacement toutes les peurs de contagion et contaminations qui caractérisent notre époque.

Car nous avons peur de la contagion; le mal est partout. Il vient de l’extérieur. Il vient de ceux qui ne se contrôlent pas; il vient de ceux qui ne se contiennent pas. Il vient des étrangers , des enfants du peuple, des mal éduqués, et de tous ceux qui ne se conforment pas à tous les mots d’ordre généreux qu’on nous adresse.

Dans une ville de banlieue, en plein confinement, à 4 jours des élections, des notables aperçoivent une famille syrienne à la rue. ils les prennent pour des Roms, les photographient et les insultent sur les réseaux sociaux.

C’est que pour eux , cette vision vient illustrer, et même prouver tout ce qu’ils pressentaient et qui les agitaient. Il y a bien une invasion et celle ci est autant virale, que raciale et sociale.

Cette famille à la rue est pour eux à la fois la cause et la conséquence de tout ce qu’ils croient et qu’ils craignent. Leur présence entraîne la dégradation de leur ville autant qu’elle en est le signe et le révélateur.

Ils mettent en lien cette vision avec tout ce qui leur arrive et qui les dérange. Les élections perdues du maire populiste sont probablement dues à ces gens extérieurs à la commune qui ont certainement voté en masse contre le notable et contre quelque argent…

De même la présence de cette famille ne peut être qu’une prémonition, qu’un avertissement de ce qui attend la ville, dorénavant livrée aux grandes invasions barbares.

Détériorations en chaîne

Toute injonction sociale produit des effets inattendus . Le désir absolu de contrôle risque fort de déboucher sur une perte totale de tout contrôle.

Déjà nous mesurons les effets inattendus des mots d’ordre, et des injonctions publiques. Les épiceries sociales ferment. Les stocks de nourriture pourrissent dans les réserves des entrepôts , des bars , des cantines, des restaurants tandis que la faim commence à s’installer dans les quartiers, dans les bidonvilles et les hôtels sociaux.

Les enfants, les adolescents et les jeunes désœuvrés ne répondront bientôt plus à aucun contrôle, tandis que les administrations, victimes de leurs propres règles , se paralysent en chaine, les unes après les autres.

Nul ne sait comment on pourra remettre en route la grosse machine, ou le réacteur que l’on a arrêté. Nul ne sait le temps que ça prendra , la quantité d’énergie qui aura été perdue et qu’il faudra retrouver.

Nul ne sait ce qui , au moment du redémarrage fonctionnera encore… ou ne fonctionnera plus.

Les Robinsons sur le pont…

Depuis Mardi avec les membres volontaires de l’association, nous nous relayons pour organiser un véritable réseau de distribution pour nos différents lieux d’action et même au delà, et distribuer des denrées alimentaires : Hôtel Parthénon, Welcome Hôtel de Chilly-Mazarin, Hôtel Astoria de Massy, et même le Mondohôtel de tigery et l’hôtel du golf de Savigny-Sur-Orge, le bidonville d’Antony Pole, celui d’Antony 2, de Champlan, sans compter les familles qui se présentent au local…

En tout, c’est plus de 300 familles qui bénéficient de notre présence et des denrées que nous rapportons de la Banque Alimentaire et des surplus des wagon bar du TGV. Mission d’autant plus importante que la majeur partie des infrastructures du social sur le territoire ont mis la clef sous la porte.

Dans un hôtel, nous rencontrons une mère qui cherche à prendre rendez vous avec un médecin de la PMI, les appels restent sans réponse. Au local nous faisons la connaissance d’un groupe de sans abris, qui errent en quête d’un endroit où dormir, de nourritures, de couvertures, mais qui n’hésitent pas à nous donner un coup de main ! Dans la rue non loin du local, nous allons à la rencontre d’une famille de syriens, ils sont 10 à la rue avec dans des sacs plastiques leurs quelques affaires, eux non plus n’ont pas d’endroit où dormir, ni rien à manger. Le lendemain nous retrouverons leurs photos exposées sur les réseaux sociaux par un sympathisant du maire sortant, qui les moque et leur reproche de sortir sans autorisation.

Nous allons jusqu’à Tigery pour répondre à l’appel à l’aide d’une famille qui nous dit qu’elle n’a plus rien à manger. Partout où nous passons, les visages éclaircissent, les gens sont reconnaissant, ne cèdent pas à la panique, même quand ils sont dans les plus grandes difficultés. Une fois passé le début de la crise, nous réfléchissons à la suite de cette action inédite, nous recherchons de nouveaux donateurs, des produits d’hygiène, de petite enfance, de nouvelles modalité pour permettre aux enfant de conserver un lien même tenu avec l’école.

Abdel

« Les petits remèdes », chronique d’une semaine un peu particulière…

Une semaine un peu particulière, une ambiance étrange, dans les rues d’abord, le silence, les pas raisonnent dans un flottement étrange… comme si marcher provoquait tout d’un coup la suspicion.

Une ambiance étrange, mortifère, à la Chris Marker, à la Frank Darabont… mais sans les zombies. Au coin des trottoirs s’entassent de vieux meubles, des jouets, bibelots et appareils ménagers d’un autre âge. On en profite pour faire l’inventaire, le ménage, pour débarrasser de ce qui encombre. Quand on revient chez soi, faut bien s’occuper !

Nous, on ne débarrasse pas, mais on collecte, on récolte, on entasse, on stocke, on trie !! et puis, on redistribue…

Non, ce n’est pas la guerre, enfin, on n’a pas l’impression que cela le soit. La guerre, c’est loin. Nous avons croisé des gens qui ont connu la guerre, en Syrie, en Afghanistan, en Afrique. Ils sont là, chez nous, à Chilly-Mazarin, à cause de la guerre justement. Ce n’est pas la guerre, mais une crise sanitaire majeure, une crise collective qu’il faut essayer de gérer collectivement. Et il a l’air coriace l’animal, enfin, le virus plutôt… le Corona virus même… Le « Corona-Virus-Disease-One-Nine » pour les initiés. « one-Nine », ça doit être la version, pas Bêta, mais plutôt version finale, ce qui se fait de mieux, le nec plus ultra ! qui tape sur tout ce qui s’agglutine sans réfléchir, sans poser de question ! l’ennemi ultime contre lequel toute violence symbolique ou tout LDB reste inefficace !

Il a décidé de faire dans l’inconditionnalité le bougre… ça tombe bien, l’inconditionnalité, on connaît !

Alors comme ce n’est pas la guerre, pas question de partir la fleur au fusil, la gloriole dans la tête. Non, nous, on a simplement choisi de se réunir pour réfléchir à la question.

Comment continuer à travailler comme ça, dans la distanciation, avec le mètre règlementaire comme étalon de la pensée ? c’est vrai que nous, la culture « hygiaphone », on ne sait pas vraiment ce que s’est ! ce n’est pas inscrit dans nos gênes, ni dans les statuts ! Alors quoi, on ferme ?

Mais si nous on ferme, il reste tout ceux qui ne peuvent pas, ceux qui ne savent pas, ceux qui n’ont pas de chez eux pour se confiner, ou ceux qui ne sont pas chez eux… même une fois confinés ! il y a les démunis, ceux qui cumulent… On n’avait pas besoin de ça en plus !

Alors on laisse entr’ouvert, on limite bien sûr ! mais on peut continuer tout de même à faire la seule chose que nous pouvons encore faire : collecter, stocker, trier, et distribuer… ça, nous savons le faire, donc, nous le faisons !

Tous les matins, Mame et Nicole briquent le pont, la cuisine et les coursives. Javel, vinaigre, pas un virus ne résiste à ces deux-là ! Nicolae, Abdel, Dusko, Mariama, Marie, Isabelle, Anita, Denis, grazzy et les autres se relaient entre la collecte à la banque alimentaire, le tri et la distribution directe dans les hôtels, les bidonvilles, les quartiers, les foyers… et on continue de chercher des alternatives si les ressources alimentaires venaient à se tarir. Mais pendant combien de temps ?

Et puis il y a tout ceux qui n’ont pas compris cette histoire d’autorisations de déplacements ou n’ont tout simplement pas la possibilité de l’imprimer. Alors, nous informons et distribuons les attestations. Marie a l’idée géniale de faire des petits dessins à côté des cases à cocher pour ceux qui ne parlent pas bien français… un stylo, un billet en euro, une croix rouge, un joggeur. Cela peut paraître dérisoire, mais les petits dessins de Marie prolongent le lien, ce lien… toujours… pour nous permettre de pouvoir encore un peu communiquer, parler, échanger.

Lui est musicien, il est venu avec sa compagne. Ils sont roumains, ils vont peut-être repartir là-bas au pays, enfin, si un avion veut bien les prendre en stop. Il est venu pour qu’on puisse l’aider à remplir le fameux formulaire de circulation. Je ne parle pas roumain, mais nous discutons grâce aux dessins de Marie… quelques mimes, des rires, bref, on se comprend. Tous les deux me remercient chaleureusement, mais de quoi ? d’avoir, d’un clic, délivré quelques exemplaires de ce passeport d’un jour ? Peut-être simplement ont-ils eu tout d’un coup l’impression d’acquérir un droit particulier… un droit, par les temps qui courent, c’est si difficile à acquérir, c’est si précieux ! peut-être avaient-ils perdu l’habitude ?

Finalement, ils ont décidé de rester un peu dans le local entr’ouvert. Lui sort sa trompette, et avec Dusko au sax’, ils entonnent un vieux standard « New Orleans ».

Il y a comme une ambiance étrange, un flottement dans l’air. Le silence dans les rues… ce silence… Mais de la porte entr’ouverte de notre local, des notes de jazz chaudes et entrainantes s’échappent, et sonnent comme le prélude à une solution, comme le début d’un petit remède.

Arnaud